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lundi 28 avril 2014

Le 25 mai 2014, vous pouvez voter pour trois partis différents


Régis Dandoy
Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL
@rdandoy


L’organisation d’élections simultanées (c’est-à-dire plusieurs élections organisées le même jour) a un impact considérable sur les résultats électoraux puisqu’il permet à l’électeur de scinder son vote, produisant un comportement de vote atypique : c’est ce que les politologues appellent le vote différencié (split-ticket voting en anglais). Ce phénomène implique que le même électeur vote pour des partis politiques différents lorsqu’il vote lors de ces élections simultanées. Ce vote différencié est un comportement observé régulièrement dans les pays organisant des élections présidentielles et parlementaires et/ou des élections législatives bicamérales (Chambre et Sénat) le même jour. Cependant, ce vote différencié lors d’élections simultanées ne concerne pas seulement les élections situées au niveau national, mais peut également se produire lors d’élections à différents niveaux de pouvoir (régional, national, européen, etc.).

En Belgique, le panachage est interdit. Cela signifie que l’électeur ne voter que pour un et un seul parti (soit en case de tête, soit pour un ou plusieurs candidats au sein de la même liste) pour une élection déterminée. Mais lorsque plusieurs élections se produisent le même jour, rien n’empêche l’électeur de voter pour différents partis lors de ces élections. Pour résumer, l’électeur peut voter pour le parti A pour les élections régionales, pour le parti B pour les élections fédérales et pour le parti C pour les élections européennes. Le 25 mai 2014, chaque électeur belge et domicilié en Belgique votera trois fois (certains voteront même quatre fois – voir Note 1) et aura ainsi le droit d’effectuer un vote différent pour ces trois élections. Le récent sondage La Libre Belgique – RTBF – Dedicated indique que 23% des répondants sont prêts à voter pour deux partis différents, tandis qu’ils ne sont que 5% à envisager voter pour trois partis différents.

Ce vote différencié s’explique en partie par le fait que les partis présentent différents candidats aux différents niveaux de pouvoir. La popularité de ces candidats n’est pas égale et il est donc logique que les électeurs votent pour leurs candidats préférés, indépendamment du fait qu’ils se présentent au régional, au fédéral ou à l’européen. De plus, puisque des partis différents participent aux gouvernements fédéraux et régionaux, l’électeur qui veut sanctionner ces partis peut voter pour des partis d’opposition différents. Enfin, il est probable que l’électeur qui se sent proche de deux – voire trois – partis va préférer émettre un vote différencié entre ces partis, plutôt que trois votes pour le même parti.

Mais le vote différencié n’est pas sans conséquence. Tout d’abord, il peut mener à des situations relativement schizophréniques si certains partis gagnent les élections au niveau fédéral et les perdent au niveau régional (et vice-versa). Le jeu politique deviendra encore plus illisible pour le citoyen et il sera difficile de dégager les véritables vainqueurs de ces élections. Mais la conséquence la plus importante se situera au niveau de la formation des gouvernements. Jusqu’à présent, les gouvernements ont été en général formés de manière symétrique et congruente (voir le billet http://electionsbxl.blogspot.be/2014/02/le-mythe-des-gouvernements-symetriques.html à ce sujet) et ont principalement associé les partis les plus grands et/ou les partis vainqueurs. Mais si le vote différencié mène certains partis à la victoire et d’autres à la défaite, la formation des gouvernements qui s’en suit peut devenir un véritable casse-tête…


Le vote différencié en Belgique : l’expérience de 1999

La dernière fois que des élections simultanées à trois niveaux de pouvoir se sont produites en Belgique, c’était en 1999 (voir Note 2). Les Belges élisaient alors leurs représentants lors d’élections régionales, fédérales (Chambre et Sénat) et européennes. Le même scénario se répète en 2014, à l’exception des élections pour le Sénat qui sera dorénavant composé de manière indirecte. Nous avons comparé les résultats des élections régionales et fédérales de 1999 afin d’évaluer l’ampleur du vote différencié en Belgique. Nous avons simplement calculé la différence en pourcentages de votes obtenus par un parti lors de ces deux élections, mais au sein de la même région. Bien entendu, il s’agit d’un indicateur assez conservateur en ce sens qu’il ne mesure que les différences nettes entre deux élections. Par exemple, si 10% de l’électorat décide de voter pour le parti A au fédéral et pour le parti B au régional et que 10 autre % décide de voter pour le parti B au fédéral et pour le parti A au régional, la différence nette sera de 0%. Néanmoins, il permet de mesurer assez valablement le vote différencié entre différents niveaux de pouvoir.

En Flandre (voir Tableau 1), il y a peu de différences entre les résultats des élections fédérales et régionales de 1999. Dans sa grande majorité, l’électeur flamand a voté pour le même parti lors de ces deux élections. Parmi les partis qui obtiennent un meilleur score lors des élections fédérales de 1999 (Chambre), nous retrouvons le SP (un vote différencié de 0,7%), CVP (0,5%) et le VLD (0,4%), tandis que VU-ID21 (0,5%), Agalev (3%) et le VB (0,1%) obtiennent plus de voix lors du scrutin régional. Le vote différencié au niveau des autres partis (0,7%) s’explique en partie par le résultat de la liste UF aux élections régionales (0,9% des votes), liste absente des élections fédérales.


Tableau 1. Résultats électoraux en Flandre en 1999 (Chambre et Région)


Chambre
%
Région
%
Vote différencié
CVP
800.571
22,6 %
857.732
22,1 %
0,5 %
VLD
794.355
22,4 %
855.867
22,0 %
0,4 %
SP
556.060
15,7 %
582.419
15,0 %
0,7 %
VB
545.979
15,4 %
603.345
15,5 %
0,1 %
Agalev
399.092
11,3 %
451.361
11,6 %
0,3 %
VU-ID21
312.022
8,8 %
359.226
9,3 %
0,5 %
Autres
130.508
3,7 %
173.234
4,4 %
0,7 %
Total
3.538.587
100 %
3.883.184
100 %

Note : l’électorat pour ces deux élections est sensiblement différent puisque les élections à la Chambre n’incluent pas la circonscription de BHV tandis que ceux à la Région incluent les électeurs flamands de Bruxelles. Source : Renard et Dodeigne, 2012

Du côté wallon (voir Tableau 2), le phénomène de vote différencié est encore moins important qu’en Flandre en 1999. Les partis qui obtiennent plus de votes lors des élections fédérales (Chambre) sont Ecolo (un vote différencié de 0,1%) et le FN (0,1%). Le PSC (0,3%) et PS (0,2%) obtiennent de meilleurs résultats lors du scrutin régional. Le MR obtient exactement le même résultat lors des deux élections (à 1.210 voix près) et les petits partis remportent plus de succès lors des élections fédérales (0,3%).


Tableau 2. Résultats électoraux en Wallonie en 1999 (Chambre et Région)


Chambre
%
Région
%
Vote différencié
PS
554.100
29,2 %
560.867
29,4 %
0,2 %
PRL-FDF-MCC
469.244
24,7 %
470.454
24,7 %
0,0 %
Ecolo
347.407
18,3 %
347.225
18,2 %
0,1 %
PSC
319.448
16,8 %
325.229
17,1 %
0,3 %
FN
77.614
4,1 %
75.262
4,0 %
0,1 %
Autres
130.031
6,9 %
126.202
6,6 %
0,3 %
Total
1.897.844
100 %
1.905.239
100 %

Source : Renard et Dodeigne, 2012

Mais ces différences restent globalement modestes. L’électeur belge a voté de la même manière aux élections fédérales et régionales de 1999 ou, en tout cas, l’effet du vote différencié est neutralisé par les transferts de voix vers un parti ou un autre. Néanmoins, certains analystes et enquêtes d’opinion prédisent un important changement des comportements électoraux lors des élections du 25 mai 2014 : le vote différencié serait utilisé par un nombre significatif d’électeurs. Si ces prédictions se confirment (par exemple si un parti obtient 5% de voix supplémentaires au fédéral par rapport au régional), cela viendra battre en brèche la légendaire stabilité de l’électorat belge et ouvrira la porte à d’intéressantes spéculations quant aux conséquences politiques de ces élections, principalement en matière de formation des coalitions. Un vote différencié important pourrait en effet mener à la constitution de gouvernements non symétriques et non congruents, surtout si certains partis perdent les élections au fédéral mais les remportent au régional ou vice-versa. Cela pourrait également nous donner une information intéressante sur la perception des électeurs vis-à-vis de certains partis qui pourraient être perçus comme plus influents ou plus compétents en fonction des matières régionales, fédérales ou européennes, par exemple.


Note 

1. Les électeurs bruxellois qui décideront de voter pour une liste appartenant du groupe linguistique néerlandais pour les élections régionales pourront également voter pour leurs représentants au parlement flamand. Les électeurs résidant dans une des 9 communes de la région de langue allemande pourront également voter pour leurs représentants au parlement de la communauté germanophone.

2. Entre 1949 et 1991, les électeurs belges avaient la possibilité d’émettre trois votes, mais cela ne concernait que deux niveaux de pouvoir : le national (Chambre et Sénat) et le provincial. Après 1991, les élections provinciales seront organisées le même jour que les élections communales.

Pour aller plus loin

Elklit Jorgen, Kjaer Ulrik, « Are Danes More Inclined to Ticket Splitting than the Swedes and the English? », Scandinavian Political Studies, Vol. 28, No. 2, 2005, pp. 125-139.

Renard Hugues, Dodeigne Jérémy, « Annexe no 2 – Les résultats électoraux depuis 1847 », in Bouhon Frédéric, Reuchamps Min (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, Bruylant, Bruxelles, 2012, pp. 545-568

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