Clément Jadot, politologue, Centre d’Etude de la
Vie Politique (CEVIPOL), Université libre de Bruxelles (ULB)
clement.jadot@ulb.ac.be
Le consensus belge ...
Bien qu’elle ait entamé son aventure communautaire sans grande ardeur, la
Belgique a rapidement pris le pas européen. Outre la dimension idéologique du
projet, différentes considérations pragmatiques expliquent cette orientation.
Enclavée entre la France et l’Allemagne, l’économie belge, fortement
ouverte, bénéficie de la définition de règles communes à l’échelle européenne.
Qui plus est, l’absence de prétentions sur la scène internationale et l’échec
de la politique de neutralité ont conduit le pays à soutenir et à intégrer une défense
atlantique (1). Parce que le projet européen répond à une double aspiration de
prospérité et de sécurité, c’est naturellement que la Belgique se tourne
positivement vers celui-ci.
Sous l’influence initiale de Paul Henri Spaak, les gouvernements successifs
vont alors se distinguer par la vision progressive et évolutive qu’ils
défendent. Celle-ci se marque notamment par une collaboration étroite avec les
partenaires du Benelux en vue de promouvoir une lecture fédéraliste, incarnée
par un soutien appuyé à l’emploi de la méthode communautaire [ndlr. partage des
rôles entre la Commission, le Conseil, le Parlement européen et les Etats
membres, en rupture avec les règles de prise de décision à l’unanimité].
Si certains partis ont parfois pu manifester leur opposition à un ou
plusieurs traités en particulier, en soixante ans, la Belgique n’a d’ailleurs
jamais véritablement menacé la ratification d’un traité européen.
Au sein de la population, le même constat d’acceptation est de mise : les
Belges considèrent majoritairement l’Europe comme une bonne chose. Sauf à de
rares exceptions près, ces résultats dépassent de loin la moyenne européenne.
(cf. Eurobaromètres http://ec.europa.eu/public_opinion/index_fr.htm).
… et au-delà
En marge de cet a priori favorable, il arrive cependant que l’on
décide, pour un instant, de parer l’Europe d’atours plus politiques. Comment
comprendre, par exemple, le refus des partis écologistes de ratifier le traité
sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) ? Leur opposition
peut-elle être ramenée à celle du Vlaams Belang ? Est-ce légitime, pour un
socialiste, de critiquer la politique monétaire européenne ? Toute la
difficulté consiste généralement à transposer à un autre niveau nos grilles de
lecture habituelles du monde politique ; la distinction gauche/droite, pour ne
pas la nommer.
Comme souvent, il existe plusieurs façons d’aborder un même problème.
Ainsi en va-t-il des questions européennes. Pour ma part, je propose de
dissocier trois types de débats. Premièrement, le débat peut porter sur des
questions d’ordre identitaire. Il s’agit notamment des thématiques relatives à
la communauté politique européenne entendue comme un ensemble de valeurs
fondamentales et les partenaires avec lesquels on souhaite lier son destin. Ces
discussions s’incarnent par exemple dans des débats sur l’identité européenne
—e.g. faut-il reconnaître un héritage chrétien commun ?— ou encore sur les conditions
d’élargissement de l’Union à de nouveaux Etats-membres. Les partis peuvent ici
être classés entre ceux qui proposent une approche « chaude » de l’identité
politique européenne – à savoir la reconnaissance d’a priori culturalistes
tels que l’histoire, la culture, la géographie – et ceux qui soutiennent une
approche « ouverte » – c’est-à-dire fondée sur des critères politiques dénués
de références culturelles exclusives.
Deuxièmement, les débats peuvent également porter sur le fonctionnement
des institutions européennes ainsi que sur les modalités de prise de décision à
l’échelle européenne. D’un côté on retrouvera alors des partis soucieux
d’encadrer, voire limiter, l’action européenne en maintenant des pouvoirs de
blocage forts ; de l’autre, on retrouvera des partis soucieux d’opérer des
transferts de compétence plus importants vers le niveau européen. C’est aussi
sur cette dimension que s’inscrivent les débats sur la légitimité démocratique
des institutions européennes.
Enfin, troisièmement, les partis sont aussi amenés à se positionner sur
les choix de politiques publiques opérés à l’échelle européenne. Ceux-ci
couvrent des domaines aussi variés que les objectifs assignés à la Banque
centrale européenne, la politique agricole commune ou encore les politiques
européennes d’asile et d’immigration.
Le fait de s’accorder sur une de ces trois dimensions n’implique pas,
bien entendu, de s’entendre sur les autres. De même, l’identification de
plusieurs dimensions n’entraine pas nécessairement leur concomitance. Ainsi, le
milieu des années 2000, caractérisé par l’élargissement de l’UE à 12 nouveaux
Etats et le débat sur le traité constitutionnel, a mis à l’honneur les
questions identitaires tandis que la période actuelle, marquée par la crise des
dettes souveraines, est davantage orientée vers la gouvernance économique de la
zone euro.
Le tableau ci-dessous reprend schématiquement l’orientation
programmatique des partis politiques belges représentés au Parlement européen
sur certaines problématiques clés. La période couverte correspond à la VIe
législature du Parlement européen, à savoir 2009-2014
La longueur de cet article est
comprise entre 75 et 125 mots.
Le choix des photos et graphismes est un élément important de votre
bulletin.
Bien qu’il représente une simplification, le tableau ci-dessus permet
certains éclairages quant à la nature du consensus européen au sein de la
classe politique belge.
D’une part, les partis belges sont dans l’ensemble favorables au
projet européen ; d’autre part, les points de désaccords exprimés sont loin
d’être négligeables, de sorte que l’image d’une Europe sans compromis doit à
tout le moins être nuancée. Selon les formations politiques, ces désaccords
tendent par ailleurs à se cristalliser sur des aspects différents de
l’intégration européenne.
Le consensus politique est ainsi assez fort en ce qui concerne la
détermination des valeurs fondamentales au cœur du projet européen et
l’orientation identitaire à donner à ce dernier. Seules les formations populistes
et d’extrême droite (LDD & VB) semblent véritablement contester la base
identitaire libérale sur laquelle repose l’Union européenne au profit d’un
projet culturellement défini a priori.
L’écart se creuse en revanche en ce qui concerne la structure institutionnelle
à privilégier. Excepté la LDD et le VB, tous les partis acceptent davantage de
transferts de souveraineté ; les formations libérales, les partis écologistes et
la N-VA se distinguent cependant par l’accent qu’elles placent en faveur d’une
prise de décision plus directe, davantage inspirée par les mécanismes de
démocratie directe —par exemple l’emploi du référendum.
Au niveau de la gouvernance politique européenne et des choix de
politiques publiques arrêtés, aucune ligne directrice ne peut être dégagée.
Bien que l’on retrouve ici la marque des clivages usuels —la gauche critique
face à la politique monétaire européenne là où la droite consent— le tableau
ci-dessus, même ramené à une poignée d’enjeux, montre que les politiques
européennes ne se laissent pas toutes si facilement apprivoiser. C’est par
exemple le cas en ce qui concerne la gestion actuelle de la politique agricole
commune ou la libéralisation des services au sein du marché unique.
Enfin, on notera qu’au sein du paysage politique belge, certains enjeux
plus que d’autres offrent un terreau fertile au consensus politique. Par
exemple, le renforcement de la politique européenne de défense et de sécurité
reçoit l’aval de l’ensemble des formations politiques. A une ou deux exceptions
près, il en va de même du renforcement des prérogatives du Parlement européen
et de l’extension de la prise de décision au vote à la majorité plutôt qu’à
l’unanimité. Ce sont sans doute ces éléments qui contribuent à donner à la
Belgique cette réputation d’europhile.
Pour autant, il existe aussi de nombreux sujets susceptibles de faire
controverse. C’est le cas de la gouvernance économique, de la gestion de
l’immigration au niveau européen ou encore de l’introduction de formes plus
directes de prise de décision. Sans être nécessairement activés, ces enjeux
représentent à tout le moins des réservoirs latents de politisation de l’arène
européenne, même dans un pays gagné à la cause européenne.
Conclusion
Sur les
questions européennes, on entend souvent dire qu’il y a, d’un côté, les
« europhiles » et, de l’autre, les « eurosceptiques ».
Outre l’avantage lié à sa simplicité, une telle classification trouve à
s’appliquer lorsque l’on compare des réalités extrêmes. Facilement
instrumentalisée, le risque existe cependant de l’ériger en argument
d’autorité.
L’Union européenne est aujourd’hui une réalité politique multiniveaux où
les décisions se prennent sur la base d’un dénominateur commun. Un tel système
laisse peu de place au manichéisme. Parler d’Europe, en Belgique comme
ailleurs, demande donc de faire l’exercice de la pondération.
Le 25 mai, les Belges iront voter. Et s’ils ne se déplaceront qu’une fois,
ils voteront pourtant à trois ou quatre reprises: pour le fédéral, le régional
et/ou le communautaire et pour les européennes.
Bien que rien ne soit joué, une pression s’exerce aujourd’hui pour que le
futur président de la Commission —actuellement J.M. Barroso— soit choisi parmi
la famille politique gagnante des élections européennes. Si cela ne suffira pas
à politiser l’Union, c’est du moins une avancée en ce sens. Il reste à chacun à
se positionner.
De par la volonté de présenter une version simplifiée de cette recherche,
certains détails ont volontairement été omis. Plus de précisions peuvent
néanmoins être obtenues à l’adresse : clement.jadot@ulb.ac.be
(1) DELWIT, P., (2001)
« La Belgique et l’Union européenne » in REYNIE, D., CAUTRES, B.
(eds.) L’opinion européenne, Paris, Presses de Science Po: 173-197
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