Dr Grégory Piet
Politologue, Directeur chez D&S
Consultance
Je vous présentais dans mon précédent billet l’analyse des priorités politiques des partis francophones autour de l’enjeu
climatique lors des élections belges 2014. Il est intéressant aujourd’hui de
revenir sur ces mêmes priorités, côté flamand.
Comment, cependant, faire la part des choses
entre l’événement comme la COP21 qui attire les projecteurs à lui et
l’importance de l’enjeu climatique lorsqu’il est remis dans un contexte de
compétition entre différents enjeux de politique publique ? Dans cette
profusion d’informations et d’enjeux, nous proposons de partir de la
compétition que se livrent les partis quant à leurs priorités politiques pour
comprendre comment se mêlent les réalités économiques, institutionnelles,
environnementales, climatiques, etc. Cela nous permet également d’entrevoir la
manière dont les partis politiques (re)construisent et se réapproprient un
problème publique comme celui du changement climatique.
Dans le cas de l’enjeu climatique, c’est tout
à fait significatif puisque celui-ci invite à prendre la mesure d’une situation
complexe avec des enjeux qui se croisent, voire qui se font concurrence.
L’enjeu climatique confronte en effet les visions des partis quant à leur
modèle économique, leur politique fiscale, leur politique budgétaire, leur
vision énergétique pour le pays, etc. Leurs visions de l’avenir et la prise de
conscience des scenarii futurs font également partie de l’équation et sont
présentes en filigrane des débats actuels.
Dans cette perspective, il nous semble
important de se replonger dans l’analyse des programmes électoraux de 2014 afin de
comprendre la situation actuelle et la difficulté de trouver un accord sur la
répartition de l’effort climatique entre les entités fédérées et fédérale eu
égard des priorités politiques de chaque parti.
Groen priorise.
L’Open Vld et la N-VA sont moins sensibles à l'enjeu climatique
Premièrement, si l’on se concentre sur les
attentions de l’enjeu climatique dans les programmes électoraux 2014 des partis
flamands (Graphe 1), nous constatons, sans surprise, que Groen (1,40% d’attention) est le
parti qui énonce le plus cet enjeu (même davantage qu’Ecolo, voir billet précédent sur les partis politiques francophones). Deux autres partis suivent avec
deux fois moins d’énonciation de l’enjeu climatique : sp.a (0,72%) et
CD&V (0,62%). Enfin, l’Open Vld (0,30%) et la N-VA (0,27%) ferment la
marche.
Deuxièmement, si nous revenons sur la
hiérarchisation de la priorité climatique (Graphe 2), nous relevons que seul Groen place
cet enjeu dans les premiers 50% de ses priorités politiques. C’est en soi très
intéressant à souligner car il s’agit du seul parti belge (ayant au moins un
représentant parlementaire) à mettre autant l’accent sur l’enjeu climatique
dans un programme lors des élections 2014. Tous les autres partis flamands
placent la priorité climatique beaucoup plus loin dans la hiérarchisation de
leur priorité. Le sp.a situe l’enjeu climatique dans les derniers 31% de ses
priorités, le CD&V dans les derniers 25% ; quant à l’Open Vld et à la N-VA,
ils placent cet enjeu dans les derniers 10% de leurs priorités électorales.
Troisièmement, nous relevons des stratégies
différentes de la part des partis flamands face à l’enjeu climatique (Graphe 3). Groen est
le seul parti à user d’une stratégie d’accentuation
sélective de l’enjeu climatique (plus la position est en haut et à droite
sur le Graphe 3, plus elle est favorable à l’enjeu). En ce sens, Groen
construit une large partie de son programme et de sa vision politique de
l’avenir de notre société sur l’enjeu climatique. Le sp.a et le CD&V s’appuient,
quant à eux, sur une stratégie de reprise
de l’enjeu climatique en le soutenant sans pour autant nécessairement s’en
servir dans la construction de leur modèle de société. Le sp.a se démarque
toutefois quelque peu du CD&V en proposant un nouveau modèle de société
dans lequel l’enjeu climatique et le développement durable, au sens large, doivent
être pleinement intégrés. Enfin, l’Open Vld et la N-VA recourent à une
stratégie d’évitement sur l’enjeu
climatique. Si ce dernier doit être pris en considération, ces deux partis l’intègrent
dans une vision de la société où la croissance, le développement économique de
la Flandre et les entreprises restent leurs premières priorités.
Conclusion
En Belgique, les enjeux institutionnels et
régionaux interagissent inévitablement avec l’enjeu climatique. Et l’analyse
des priorités politiques nous le confirme – si cela était encore nécessaire. Il
s’agit en effet des premières priorités programmatiques de la N-VA, au côté des
enjeux économiques et entrepreneuriaux.
Dès lors, comme nous l’avons démontré dans le
présent billet et dans le précédent, l’enjeu climatique est certes « fondamental »
dans les discours par rapport à ce qu’il implique pour l’avenir de la planète,
mais il s’intègre in fine dans une
vision globale de l’avenir qui est propre à chaque parti politique et où la
croissance, les enjeux économiques et institutionnels restent les principales
priorités.
Si ce constat s’applique à la N-VA, aucun autre parti n’y échappe complètement puisque nous l’avons vu, l’enjeu climatique reste encore pour le moment un enjeu périphérique, et ce, même si ses effets sur les autres enjeux de politique publique sont de plus en plus perceptibles.
Note méthodologique
Les
programmes électoraux sont des documents volumineux qui énoncent les priorités
politiques des partis que nous proposons de classer suivant une grille
d’analyse reprenant quelques 261 enjeux allant de la politique fiscale à
l’enjeu climatique, en passant par l’enjeu environnemental, l’asile et
l’immigration, la sécurité, le terrorisme, etc.
Cette analyse s’appuie sur le logiciel Prospéro (Chateauraynaud,
2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de
Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi
que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/). Cette
méthode consiste en la création de 270 répertoires thématiques reprenant
l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des
programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook). Ces 261 répertoires
sont constitués sur base de près de 18.000 mots et expressions permettant
d’identifier et de coder automatiquement les parties d’un texte liées à
l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la politique étrangère,
etc. A ce titre, cet encodage automatique permet de mesurer les préférences et
les priorités des acteurs politiques au sein de différents types de textes et
de discours.
Pour mesurer l’« orientation politique », l’analyse
des programmes électoraux s’appuie sur une analyse des discours et arguments
des partis politiques. Sur une échelle syntaxique et informationnelle allant de
-2 (« contre », « refus », « dénégation ») à +2
(« pour », « favorable », « priorité
politique »), nous attribuons une valeur à chaque énoncé reprenant le
thème politique analysé (en l’occurrence l’enjeu climatique pour ce billet).
Pour
aller plus loin sur la méthode :
Piet,
G., Dandoy, R., Jeroen, J., « Comprendre le contenu des programmes
électoraux : comparaison des méthodes d’encodage automatique et
manuel », Mots. Les langages du politique, 108, juillet 2015.