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mardi 9 février 2016

La déchéance de nationalité : comment un thème de l’extrême-droite s’invite dans les campagnes électorales


Dr. Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL

Dr. Grégory Piet (@grgpiet)
Politologue, Directeur chez D&S - Discours & Stratégies



En France, le débat sur la déchéance de nationalité fait rage et déchire en interne les principaux partis politiques. En Belgique, c’est dans l’indifférence quasi-générale qu’une loi de 2015 régule la déchéance de nationalité en cas d’actes terroristes. Mais l’analyse historique des positions des partis politiques belges sur cette thématique révèle que l’adoption de cette loi est plus qu’anodine. Elle est le témoignage d’une véritable évolution programmatique de la part d’une majorité des élites partisanes politiques en Belgique. Sur base d’une analyse des programmes électoraux rédigés depuis les années 70, ce billet entend explorer l’attention portée par les différents partis au cours du temps sur la déchéance de nationalité.


Une thématique issue de l’extrême-droite

La question de la nationalité – et de ses conditions d’octroi et de déchéance – n’est apparu que récemment dans les idéologies des partis politiques belges. L’importance croissante de l’immigration économique et les premières naturalisations ont mené les partis à une réflexion sur la question de la nationalité (conditions d’octroi, double nationalité, etc.) dès les années 80. Et ce n’est que quelques années plus tard (en 1984, avec le Code de la Nationalité Belge) qu’apparaît la thématique de l’extinction ou de la déchéance de cette nationalité.

Si l’on se penche sur les enjeux politiques des différentes campagnes électorales, le Front National et le Vlaams Blok (plus tard : Vlaams Belang) sont les premiers partis politiques belges à faire référence à cette déchéance dans leur programmes électoraux. Dès 1996, le FN propose dans sa plate-forme électorale d’ « appliquer la loi sur la déchéance de la nationalité ». Cette revendication se retrouve également dans le programme de ce parti pour les élections de 1999 et de 2003. La promesse électorale du FN reste brève et ne repose sur aucune justification ou commentaire, mais a le mérite de mettre cet enjeu à l’agenda de la campagne électorale du côté francophone.

En Flandre, le programme électoral du Vlaams Blok de 1999 est le premier à énoncer la thématique de la déchéance durant une campagne électorale, qui plus est, de manière relativement précise. Le parti souhaite que « de nationaliteit van ‘nieuwe Belgen’ die crimineel gedrag vertonen, moet sneller worden ingetrokken ». La proposition du VB concerne les individus qui ont obtenu la nationalité belge depuis moins de 5 ans et qui sont condamnés à une peine prison de plus de 3 mois. En matière de criminalité des jeunes, le VB souhaite la déchéance de nationalité pour les individus condamnés à une sentence de 6 mois. Il s’agit, dans cette perspective, d’une proposition de révision « hard » du Code de la Nationalité Belge associant directement criminalité et la figure de l’étranger (« nouveaux belges »).


La thématique de la déchéance de nationalité reste pendant quelques années la « propriété électorale » des partis d’extrême-droite et les propositions la concernant demeurent mentionnées dans leurs programmes électoraux. Dans son programme de 2007, le FN réitère la proposition qui s’appliquerait aux délinquants et criminels belges d’origine étrangère, sans préciser plus en avant les conditions de son application. Dans son programme de 2009, le VB précise néanmoins que cette déchéance s’appliquerait aux cas de grande criminalité ou de récidive.


Election de 2014 : in tempore non suspecto ?

Les choses changent en 2014. Jusqu’à cette date, les partis d’extrême-droite demeurent les seuls à discuter de la déchéance de nationalité dans leur plate-forme programmatique et aucun parti traditionnel belge ne mentionne cette déchéance dans son programme électoral. (1) Mais en 2014, la thématique envahit la campagne électorale. Outre le VB, pas moins de quatre partis représentés au parlement fédéral traitent de cette thématique.

Dans son programme électoral de 2014, la N-VA propose que, dans ces cas de troubles sévères à la sécurité et à l’ordre public, les étrangers bénéficiant de la double nationalité puissent être déchus de leur nationalité belge. L’Open Vld propose que cette déchéance soit appliquée pour les individus condamnés pour – entre-autres – terrorisme, grande criminalité, traite de d’êtres humains, crimes d’honneur et mutations génitales.

Du côté francophone, le MR est probablement le parti qui détaille le plus ses propositions concernant la déchéance de nationalité. Le parti libéral propose que les individus qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentales garantis par l'Etat soient déchus de leur nationalité belge, indépendamment de la date d’acquisition de la nationalité belge. Cela concerne plus spécifiquement les auteurs d’actes terroristes mais également les individus coupables d’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers ces droits et libertés fondamentales, ainsi que ceux « dont les comportements indignes et/ou dangereux au regard de nos institutions démocratiques ».

Enfin, le PP propose que la déchéance s’applique aux étrangers ou belges naturalisés depuis moins de dix ans qui commettent des délits graves, abusent du système social ou menacent le vivre ensemble par leurs revendications extrémistes. La déchéance de nationalité nourrit à nouveau une distinction entre l’ingroup (les Belges et le vivre-ensemble) et l’outgroup (la peur de l’étranger et du belge naturalisé qui abusent du système social).

De ces récents repositionnements idéologiques découlent deux considérations. Tout d’abord, il devient clair que la thématique de déchéance de nationalité n’est plus la propriété électorale exclusive des partis d’extrême-droite, même si le VB continue à en discuter dans son programme de 2014. Nombreux sont les partis démocratiques qui incluent cette thématique dans leur discours, souvent au sein du chapitre dédié à l’immigration et/ou à la justice. En d’autres mots, la déchéance de nationalité est devenue un sujet de campagne plus traditionnel ou plus « politique correct ».

Ensuite, de nombreux observateurs ont lié ces changements de positions des partis traditionnels avec les récents attentats en France et particulièrement ceux de Charlie Hebdo. Mais c’est oublier un peu vite que la campagne électorale de 2014 (et a fortiori la rédaction des programmes électoraux qui pour certains partis a débuté un ou deux ans avant le scrutin) a précédé les événements parisiens. L’ensemble des programmes électoraux ont été diffusés en mars ou avril 2014, c’est-à-dire près de 10 mois avant les attaques de janvier 2015. Difficile donc de voir dans les positions des partis belges une quelconque influence de ces événements…

De plus, les précédentes révisions du Code de la Nationalité Belge datent des années 2000 et de 2013. Il s’agit donc moins d’une prise en considération de l’évolution des menaces liées au terrorisme que de la figure et la peur de l’étranger qui évoluent : « Si le “Belge de naissance“ constitue le référent de l’établi, ou encore de l’héritier en tant que dépositaire des biens symboliques nationaux, l’étranger est celui qui dans la configuration représente la menace : le traître de la Nation, l’espion, l’immigré. La représentation de la figure de l’étranger détermine les propriétés attendues de celui-ci pour acquérir la nationalité belge (patriotisme, allégeance nationale, conformité culturelle). L’acquisition de la nationalité est inscrite dans un mythe et une rhétorique de la pureté originelle, supposant la recherche d’une conformité de la part de l’étranger qui doit se départir des aspérités de la différence pour trouver un état de « nature » originelle » (Rea, Bietlot, 2006).



La loi 2015 sur la déchéance de nationalité

La loi de 2015 concernant la lutte contre le terrorisme et dont la déchéance de nationalité constitue un important élément n’est pas une surprise. L’accord de gouvernement fédéral associant MR, N-VA, CD&V et Open Vld et rendu public le 9 octobre 2014 stipule clairement à sa page 156 que « le gouvernement adaptera les conditions permettant la déchéance de la nationalité ». La traduction de cette élément de l’accord en projet de loi est une caractéristique de la prise de décision au niveau fédéral en Belgique (Joly et al., 2014).

Il n’en demeure pas moins que les attaques à Paris de janvier 2015 ont accéléré le processus législatif. Quelques jours plus tard, deux propositions de loi ont ainsi été déposées sur la thématique de la déchéance de la nationalité par la N-VA (via ses députés Hendrik Vuye et Koen Metsu) et par le cdH (via ses députés Vanessa Matz et Georges Dallemagne). Après les programmes électoraux (en mars-avril 2014) et l’accord de gouvernement (octobre 2014), la thématique de la déchéance de la nationalité est désormais entrée au parlement fédéral.

Un projet de loi – c’est-à-dire introduit par le gouvernement – visant à renforcer la lutte contre le terrorisme est finalement voté le 16 juillet 2015 par le parlement fédéral et publié au Moniteur le 5 août 2015. La déchéance de nationalité telle que votée par le parlement fédéral s’applique pour les auteurs, coauteurs ou complices qui sont condamnés pour terrorisme à une peine d’emprisonnement d’au moins 5 ans sans sursis.

 Il est intéressant de remarquer que ce projet a été introduit moins d’un mois plus tôt, à savoir le 22 juin 2015, démontrant une rapidité assez rare pour le parlement fédéral, étant donné qu’il a été discuté, amendé et adopté en commission ‘Justice’ avant d’être discuté et adopté en séance plénière. Tout cela en 24 jours…


Il est difficile de remarquer une forte opposition de la part de l’un ou de l’autre parti politique puisque ce projet de loi confirmant la déchéance de nationalité fait une quasi-unanimité. Par exemple lors des travaux en commission, la proposition est – moyennant quelques amendements et remarques – soutenue par les députés Eric Massin (PS) et Vanessa Matz (cdH). Qui plus est, lors du vote en séance plénière le 16 juillet 2015, le projet de loi récolte pas moins de 96 ‘oui’ et  48 ‘abstentions’ (et 6 absents). Pas un seul député n’a voté contre le projet, signifiant qu’aucun parti de l’opposition (cdH, FDF, Ecolo-Groen, PP, PS, PTB-go!, sp.a, VB) ne s’y est opposé. C’est étonnant de la part de certains partis, comme par exemple Ecolo qui stipulait à peine un an auparavant dans son programme électoral de 2014 que « la double nationalité ne peut en aucun cas être considérée comme une semi-citoyenneté ».


Pour aller plus loin

Joly Jeroen, Zicha Brandon, Dandoy Régis, "Does the government agreement’s grip on policy fade over time? An analysis of policy drift in Belgium", Acta Politica, 2014, vol. 50, n° 3, 2015, pp. 297-319.


Réa Andrea, Bietlot Mathieu, Les changements du Code de la nationalité en Belgique. De la peur de l’étranger à son inclusion sous condition, M. Martiniello, A. Réa & F. Dassetto (Eds.), Immigration et intégration en Belgique francophone : état des savoirs (pp. 141–178). Louvain-la-Neuve: Bruylant-Academia.

Notes


(1) A l’exception du Parti Populaire qui, dans son programme de 2010, précise que les mariages blancs seront sanctionnés par la perte de la nationalité, mais uniquement si l’individu l'a lui-même acquise autrement que par la naissance.