Grégory Piet
Politologue, Directeur de D&S
Consultance
Suite aux attentats de Paris survenus le 13
novembre dernier, de nombreux chefs d’Etat ont pris position face à la menace
terroriste. Les discours se sont multipliés devant les assemblées. En France, François
Hollande s’est prononcé le 16 novembre devant le Congrès tandis que, en
Belgique, Charles Michel présentait les mesures du gouvernement le 19 novembre
devant les parlementaires fédéraux.
Pour autant, ont-ils tenu des discours
similaires ou, au contraire, ont-ils voulu donner des orientations différentes,
qui plus est, face à une situation différente entre la France et la
Belgique ? Ces derniers jours, plusieurs débats se sont développés dans
ces deux pays sur les questions sécuritaires et judiciaires (lutte contre le
terrorisme, gestion des retours de Syrie, etc.), les questions de défense et de
renseignements (rôle des services de renseignements, redéfinition des
« ennemis », intervention militaire au Moyen-Orient, etc. ), les
questions européennes (contrôle des frontières extérieures de l’Union
européenne, PNR européen, etc.), les questions de modèle de vivre-ensemble, les
libertés et valeurs universelles et, enfin, les questions sur les liens entre
migration et groupes terroristes.
Travaillant sur les priorités politiques et
les thématiques énoncées dans les discours politiques (voir la Note
méthodologique ci-dessous), nous analysons les discours du Premier Ministre
belge, Charles Michel, et du Président de la République française, François
Hollande, afin de voir comment leurs discours s’articulent autour des priorités
politiques qui sont les leurs et des réponses qu’ils formulent en matière de lutte
contre le terrorisme.
Deux
discours sécuritaires…
Sans surprise, la thématique politique majeure
des deux discours se concentre sur la « Justice et la Sécurité ». Il
s’agit de la première thématique énoncée dans les deux discours et dans des
proportions assez similaires (40% dans le discours de Charles Michel et 35%
dans le discours de François Hollande) (voir Tableau). Si nous décortiquons
cette thématique « Justice et Sécurité », nous relevons deux points principaux
de similarité entre les deux discours. Premièrement, au vu des événements, les
deux chefs d’Etat insistent sur la lutte contre le terrorisme et construisent
leur discours sur ce thème (15% chez Charles Michel et 14% chez François
Hollande). Deuxièmement, les deux responsables politiques insistent sur
l’importance des procédures judiciaires (2% du discours de part et d’autre) eu
égard à l’état d’urgence et de la menace (perquisitions, assignation à
résidence, déchéance de nationalité, etc.).
Sur cette thématique, enfin, des différences
peuvent être relevées notamment sur la manière dont Charles Michel et François
Hollande mettent en avant les forces de l’ordre (6% chez Michel contre 3% chez
Hollande) et le rôle des services de renseignement (5% contre 1%). Il y a en
effet un très fort soutien et une véritable insistance dans le chef du
gouvernement belge à saluer le travail des policiers et des services de
renseignement.
De même, le gouvernement belge implique
davantage la « Justice » (Ministre de la Justice, autorité
judiciaire, etc.) dans la lutte contre le terrorisme (3%) par rapport au discours
du Président français où le rôle de la Justice est moins investi (1%).
… Avec des thématiques politiques associées différentes
Nous constatons, toutefois, que si les deux
discours sont sécuritaires, ils ne nourrissent pas les mêmes thématiques politiques
connexes. En effet, dans le discours de François Hollande, la thématique liée à
la « Défense » prend une véritable importance (13%) ; ce qui
n’est pas le cas dans le discours de Charles Michel qui a une analyse de la
menace centrée sur le territoire national belge (5%) (voir Tableau).
Dans cette perspective, le discours de Charles
Michel est, certes, à dominance sécuritaire mais il est véritablement axé sur
la démocratie, les droits et les libertés des citoyens (17% de son discours)
contre seulement 6% dans le discours de son homologue français. L’accent est
particulièrement porté sur les Libertés de s’exprimer, de se sortir, de vivre,
de circuler, etc. (8% dans le discours de Michel contre 2% chez Hollande) (voir
Tableau). Le « vivre-ensemble » reste cependant central dans les deux
déclarations et donne le ton des deux discours sur les libertés et la
démocratie. De plus, les deux chefs d’Etat se refusent d’associer la lutte
contre le terrorisme à l’immigration et les demandeurs d’asile (1% de part et
d’autre) (voir Tableau). Ils insistent tous deux sur ce point afin d’éviter
tous amalgames et ils le répètent dans leur déclaration respective.
Le rôle de l’Etat prend également beaucoup
plus de place dans le discours de Hollande (23%) que dans le discours du
gouvernement belge (11%). François Hollande insiste, en effet, longuement sur
la force et la grandeur de la République tant en France que sur la scène
internationale et européenne. Charles Michel, quant à lui, se tourne davantage
vers la responsabilité européenne et internationale dans la lutte contre le
terrorisme.
Ils se rejoignent enfin sur l’importance des
rôles de la communauté internationale (8% du discours de Hollande et 6% chez
Michel) et de l’Union européenne avec une plus forte insistance, dans le chef
du Premier Ministre belge, sur la place de cette dernière dans la lutte contre
le terrorisme et le contrôle des frontières extérieures (10% contre 7% dans le
discours du Président français) (voir Tableau).
Tableau :
thématiques politiques (master-codes) dans les deux discours
Michel
|
Hollande
|
|
Economie
intérieure
|
2%
|
1%
|
Démocratie,
Droits & Libertés
|
17%
|
6%
|
Santé
|
0%
|
1%
|
Emploi
|
0%
|
1%
|
Enseignement
|
0%
|
0%
|
Environnement
|
0%
|
0%
|
Politique
énergétique
|
0%
|
0%
|
Asile
& migration
|
1%
|
1%
|
Mobilité
|
2%
|
0%
|
Justice
& Sécurité
|
40%
|
35%
|
Affaires
sociales
|
1%
|
2%
|
Entreprises,
banques et commerces
|
0%
|
0%
|
Défense
|
5%
|
13%
|
Recherche
scientifique & TIC
|
1%
|
1%
|
Commerce
extérieur
|
0%
|
0%
|
Affaires
européennes
|
10%
|
7%
|
Affaires
étrangères
|
6%
|
8%
|
Fonctionnement
de l'Etat
|
11%
|
23%
|
Culture
& loisirs
|
2%
|
0%
|
Politique
locale & provinciale
|
2%
|
0%
|
Développement
durable
|
0%
|
0%
|
Note
méthodologique
Au
niveau de la taille des discours, nous relevons une différence. Celui de
Charles Michel fait 2.820 mots contre 4.250 mots pour celui de François
Hollande. Le discours est donc relativement plus court chez le Premier Ministre
belge.
Cette analyse s’appuie sur le logiciel Prospéro (Chateauraynaud,
2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de
Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi
que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/).
Cette méthode consiste en la création de 270 répertoires thématiques reprenant
l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des
programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones
(http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook).
Ces 270 répertoires sont constitués sur base de près de 18.000 mots et
expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties
d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la
politique étrangère, etc. A ce titre, cet encodage automatique permet de
mesurer les préférences et les priorités des acteurs politiques au sein de
différents types de textes et de discours.
Pour aller plus loin sur la méthode :
Piet, G., Dandoy, R., Jeroen, J., « Comprendre le contenu
des programmes électoraux : comparaison des méthodes d’encodage
automatique et manuel », Mots. Les langages du politique, 108,
juillet 2015.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire