Clément Jadot, politologue, Centre d’Etude de la Vie Politique (CEVIPOL), Université libre de Bruxelles (ULB)
clement.jadot@ulb.ac.be
Les discours politiques ont ceci
d’intéressant qu’ils traduisent un exercice d’équilibre entre les aspirations
stratégiques d’un parti – maximiser sa base électorale – et la défense d’une
ligne idéologique cohérente. Ils sont donc à la fois le produit d’un système qui
façonne collectivement l’agenda politique et un construit individuel, fruit du positionnement
idéologique de chaque parti. Loin d’être hermétiques, stratégie et idéologie
sont en réalité deux dimensions qui s’alimentent mutuellement.
A l’écoute des récents discours
d’ouverture de campagne, les premiers observateurs n’ont pas manqué de
souligner les similitudes qui existent entre les allocutions prononcées par les
présidents de parti, mettant ainsi l’accent sur le discours comme production
collective. Crise oblige, l’agenda des partis francophones semble résolument tourné
vers le socio-économique. Plus encore, les discours se rejoindraient sur la
forme. Face aux dérives d’une économie mise à mal, chaque président se présenterait
comme l’arbitre des déséquilibres modernes, incarnés tour à tour par les
financiers et une jeunesse désœuvrée. Face à une telle proximité sémantique,
faut-il pour autant conclure à un effacement des idéologies structurantes ?
Si l’on prend les discours prononcés par
les présidents des quatre principaux partis politiques francophones lors des
récents congrès de partis (1) et qu’on les passe à la moulinette informatique (2)
– c’est-à-dire si l’on compte les mots après les avoir ramenés à leur racine non
déclinée – on s’aperçoit effectivement que certains thèmes de campagne se
dégagent. Discours confondus, si l’on regarde les dix formes dominantes sans
prendre en compte les formules de politesse – e.g. Cher Ami – il semble que les
allocutions présidentielles fassent la part belle aux problématiques liées à
l’emploi et à l’éducation ; les jeunes faisant ensuite le lien entre les
deux (cf. tableau). Lorsque Benoît Lutgen se prononce une semaine après les
trois autres partis, il ne remet d’ailleurs pas en cause cet ordre du jour. A
son tour, il le renforce même largement, tout en le spécifiant, par exemple via
l’importance accordée au verbe vivre, qui fait ici écho au slogan de campagne
du cdH : "Vivre mieux, c’est possible !".
|
Force est donc de constater un certaine forme
de proximité entre les discours de campagne, puisqu’ils partagent une base
identique. Pourtant, s’arrêter là serait fallacieux. En marge de
l’environnement qu’ils construisent collectivement, il importe également de
s’interroger sur l’espace discursif individuel que les partis mobilisent. Le
partage d’un même diagnostic n’implique ni que les partis s’y limitent, ni même
qu’ils en viennent à proposer des solutions identiques.
En poussant l’outil informatique un peu
plus loin, il est ensuite possible d’identifier quelles sont les associations
de mots les plus fréquentes. Sur base du principe de l’arbre maximum, l’analyse
de similitudes ci-dessous reprend les formes présentes au moins deux fois dans
le discours des présidents de parti. Au plus la police est grande, au plus la
forme est répétée et plus des mots sont éloignés, moins ils ont tendance à être
associés. De même, plus le lien entre deux formes est épais, plus leur
association est significative. Enfin, les nuages colorés représentent des
familles lexicales remarquables.
Figure
3. Discours d'Olivier Deleuze et d’Emily Hoyos 23.03.2014
Figure
4. Discours de Benoît Lutgen 29.03.2014
Des quatre discours, c’est celui de
Charles Michel, président du MR qui est le plus court (1815 mots). Résolument épurée
et pragmatique, l’intervention s’articule presque exclusivement autour de
thèmes charnières cohérents avec l’agenda mais aussi avec la base idéologique
du parti. Au cœur de l’allocution du président, les associations de ‘libéral’,
‘travail’, ‘emploi’, ‘créer’ et ‘entreprise’ forment un cycle qui ne va pas
sans rappeler les fondements de la stratégie libérale de relance économique. Ainsi
en va-t-il aussi des formes ‘impôt’, ‘pme’, ‘baisser’ et ‘emploi’. Contrairement
à l’agenda collectif, le MR semble en revanche peu mobilisé sur la thématique
générale ‘école’, à laquelle il préfère un vocable plus professionnalisant et
tournée vers la ‘formation’. Du reste, si tous les partis intègrent la question
de l’emploi, seuls les libéraux font du chômage un thème de campagne.
En miroir du MR, c’est à Paul Magnette
(PS) que l’on doit le plus long discours (3577mots), devançant par la même
occasion le cdH de trois mots. Si certains nœuds communs au vocabulaire des
libéraux se détachent – e.g. ‘jeune’ et ‘emploi’ – ils prennent souvent des
sens différents, comme c’est le cas du mot ‘impôt’, cette fois associé au mot
riche, ou du mot ‘école’ qui remplace celui de ‘formation’. D’autre part, le
discours du PS recouvre un champ lexical plus large qu’au MR, principalement par
le fait que les socialistes font la part belle aux représentations symboliques,
enracinées dans un imaginaire inspiré par la lutte des classes. De même, en
marge des thématiques proprement socio-économiques, on retrouve chez les
socialistes un discours plus existentialiste, davantage orienté vers l’homme, la
qualité de vie, et l’impératif de lien social.
Chez Ecolo, le discours prononcé est de
taille intermédiaire, à mi-chemin entre celui du MR et des autres partis (2456
mots). Comme pour le MR et le PS, on retrouve ici aussi des enjeux communs et
clairement identifiables, par exemple l’emploi et l’intégration des jeunes. Épuré
sur le plan symbolique, le discours écologiste se distingue avant tout par
l’accent mis sur les enjeux énergétiques, qui constituent une niche politique
propre à ce parti. Dans une moindre mesure, Ecolo se distingue aussi par la
segmentation spatiale des enjeux abordés. L’école est ainsi associée à
Bruxelles tandis que les investissements dans le domaine du renouvelable sont
pour la Wallonie et que le fédéral se voit assigner la politique énergétique.
Dernier discours prononcé en date, l’intervention
de Benoît Lutgen pour le cdH (3574 mots) se distingue par son caractère
résolument existentialiste. Là où les autres partis insistent sur un petit
nombre de problématiques socio-économiques, le cdH met littéralement l’humain
au centre. Mis à part l’enseignement, le parti livre de la sorte un discours
moins polarisé, qui emprunte surtout au registre du symbolique. Derrière cette
tendance lourde, on retrouve néanmoins des valeurs chères aux démocrates-chrétiens,
comme la défense des structures intermédiaires et du monde associatif.
De ce rapide tour d’horizon, il ressort
deux enseignements. Primo, il existe
bien une tendance à la proximité dans le discours des partis. Cette observation
ne peut pourtant se réduire à la victoire de la démagogie électorale. Les
partis construisent collectivement un environnement dont ils sont à la fois
acteurs et récepteurs. D’une certaine manière, le constat est même encourageant.
Sans présumer des solutions à apporter, du moins les futurs partenaires
semblent-ils s’accorder sur la nature des chantiers à mener. Deuxio, un cadre commun n’empêche en
rien une déclinaison idéologique des enjeux de campagne ; que du
contraire. Ramenés à leur plus simple expression, les discours d’ouverture de
campagne ont même tout du cas d’école. Assurément, en 2014, les partis
politiques francophones parleront de la même chose, mais sans doute ne diront-ils
pas la même chose.
(1) Les allocutions présidentielles
étudiées sont celles de Charles Michel lors du congrès du MR à Charleroi le 23
mars 2014, de Paul Magnette lors du congrès du PS à Ixelles le 23 mars 2014,
d’Olivier Deleuze et Emily Hoyos lors du congrès Ecolo à Louvain-la-Neuve le 23
mars 2014 et de Benoît Lutgen lors du congrès du cdH à Marche en Famenne.
(2)
Les analyses présentées ont été obtenues à l’aide du logiciel IRaMuTeQ,
librement téléchargeable à l’adresse http://www.iramuteq.org/. Construit sur le logiciel R
et le langage python, il offre de nombreuses possibilités d’analyse statistique
de corpus de textes.
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