Renaud
Foucart
Chercheur post-doctorant, Nuffield College (Oxford
University), membre associé du Cevipol
Marjorie
Gassner
Professeur ordinaire, SBS-EM (ULB), membre associée du
Cevipol
Emilie
van Haute
Professeur assistante, FSP (ULB), membre du Cevipol
Du côté francophone, l’un des faits marquants de
ce triple scrutin est l’entrée de “nouveaux venus” dans les différentes
assemblées du pays. En effet, deux “petits” partis font leur entrée dans
plusieurs arènes parlementaires : le PTB, et le PP (qui fut brièvement présent au parlement
fédéral via le député sortant Laurent
Louis, élu sous la bannière du PP). Leur performance se caractérise par des
scores relativement similaires en termes de voix, mais par une concrétisation
en termes de sièges radicalement différente. Toutes élections confondues, le
PTB a obtenu un total de 400,480 voix, pour 356,106 voix au PP.
Le PTB parvient cependant à concrétiser son score
de manière beaucoup plus efficace. En effet, ce parti obtient 8 sièges de
députés (2 à la Chambre, 2 au parlement wallon et 4 au parlement bruxellois),
alors que le PP n’en obtient que 2 (1 à la Chambre et 1 au parlement wallon).
Dans une transposition certes simpliste, pour obtenir un élu, le PTB n’a besoin
que de 50,060 voix, alors que le PP en a besoin de 178,053, soit plus du triple.
Comment expliquer que deux partis avec un résultat
quasi similaire en nombre de voix obtiennent une représentation aussi
différente, en particulier en Belgique où le mode de scrutin est proportionnel
? Trois éléments nous semblent importants pour venir éclairer ce phénomène. Ils
sont liés au comportement stratégique des partis et à la manière dont ces
derniers intègrent les règles du jeu électoral dans leur réflexion stratégique.
1. Placer
les bons candidat-e-s au bon endroit
La constitution des listes en vue d’une élection
représente toujours une décision essentielle pour les partis politiques. C’est
particulièrement le cas lors de scrutins à niveaux multiples, comme cela a été
le cas dimanche dernier en Belgique. Sur base des informations à leur
disposition, les partis tentent de placer leurs candidats de manière à
maximiser leur score, mais aussi leur chance de décrocher un ou plusieurs
sièges, tout en minimisant les tensions internes que cet exercice peut générer.
On l’a vu, au sein des plus grands partis politiques, cet équilibre n’est pas
toujours facile à atteindre.
Qu’en est-il pour les “petits’ partis ?
Le PTB obtient deux élus à la Chambre dans les
circonscriptions de Liège et du Hainaut, avec des candidats aux scores
personnels importants : Raoul Hedebouw (16,586 voix de préférence) et
Marco Van Hees (5,488 voix de préférence). Le PP, de son côté, a placé son ‘faiseur
de voix’ Luc Trullemans, tête de liste PP au scrutin européen, à un niveau où
il est très difficile d’obtenir un siège. Avec 79,586 voix de préférence, il
s’agit du 5e score francophone, soit un score personnel supérieur à
celui des têtes de liste CDH (Claude Rolin) et Ecolo (Philippe Lamberts), et
supérieur à celui de Gérard Deprez au MR. Le PP réalise dès lors son meilleur
score à l’Europe (5.98%, soit plus que le PTB). Cependant, cela n’a pas été suffisant
pour obtenir un élu.
2. Capitaliser
sur le score des autres partis via le groupement de listes
Pour dépasser le seuil des 5% à la région
bruxelloise et obtenir des élus au parlement bruxellois, le PTB a opté pour une
stratégie d’alliance avec quatre autres petits partis aux programmes très
éloignés (Pro Bruxsel, BUB, R, et le parti Pirate). Cette stratégie s’est
révélée payante. Ensemble, ce groupement de partis obtient 5.63% et passe ainsi
le seuil d’éligibilité, ce qui était l’objectif stratégique à l’origine du
groupement. Seul, le PTB n’obtient que 3.86% des voix, et n’aurait dès lors pas
été pris en compte pour la répartition des sièges.
Ayant passé le seuil, ce groupement de listes est
pris en compte dans la répartition des sièges et en obtient 4. Reste que la
répartition de ces 4 sièges au sein du groupement ne bénéficie qu’au PTB. Aucun
des autres ‘petits’ partis n’obtient d’élu. En effet, aucune des 4 autres
listes n’obtient un score supérieur à un quart de celui du PTB, score qui leur
aurait permis de prétendre à un des 4 sièges du dit groupement, via la clef
d’Hondt de répartition des sièges à la proportionnelle. Avec ces 4 sièges, le
PTB est de tous les partis francophones représentés au parlement Bruxellois celui dont les
élus représentent le plus faible nombre de suffrages (moins de 4,000 votes par
siège pour le PTB, plus de 5,000 pour tous les autres).
Il s’agit d’un choix stratégique extrêmement
payant pour le PTB. S’allier avec un grand nombre de très petites listes (avec
des scores inférieurs à 1% des voix) leur permet de passer le seuil électoral
sans devoir partager les sièges obtenus. Une alliance avec des ‘moins petits’
partis (avec un score supérieur à 1% des voix), comme le PP, Islam ou Debout
les Belges, aurait obligé le PTB à “partager” les élus obtenus. Si ce choix
stratégique est payant du point de vue du parti, il l’est sans doute moins du point
de vue de l’électeur ayant voté pour ces autres “petits” partis. En effet, leur
vote BUB, Pirate ou Pro Bruxsel s’est traduit en un siège pour le PTB, dont on
peut penser qu’il n’était pas nécessairement leur second choix.
Inversement, le PP a décidé de se présenter seul
au scrutin bruxellois, pour lequel il réalise un score assez faible (1.94%) et
ne passe pas le seuil des 5%. La décision stratégique de ne pas se présenter
sous un groupement de liste et d’aller seul à l’élection ne s’est pas révélée payante
en termes de sièges.
3. Maîtriser
ses "ennemis proches"
La maîtrise de la dispersion des voix est une
autre stratégie qui distingue les deux ‘petits’ partis.
Côté PTB, la concurrence à la gauche de la gauche
a été limitée. Plus fondamentalement, le parti a décidé de jouer l’ouverture en
se présentant sous la bannière PTB-go!, et en incorporant des candidats de la
LCR sur ses listes. Cependant, ces candidats d’ouverture se trouvaient à des
places relativement difficiles. Il est probable que l’ouverture ait apporté des
voix supplémentaires à la liste PTB-go!. Ces voix se sont traduites par des
élus tous issus du PTB.
A la droite de la droite, les jeux étaient plus
ouverts. La tête de liste PP dans le Hainaut, Mischaël Modrikamen, n’est pas un
inconnu. Pourtant, c’est dans la province de Liège que le PP obtient ses deux
sièges, avec des candidats sans doute moins connus (Aldo Carcaci et
André-Pierre Puget). Malgré une certaine notoriété et un score personnel
important (6,958 voix de préférence, plus que la tête de liste du PTB-go! Marco
Van Hees), Modrikamen ne parvient pas à faire passer le seuil des 5% à son
parti dans le Hainaut. Il est vrai que dans cette province se présentaient trois
chefs de file de partis issus du PP : Laurent Louis avec Debout les Belges
(3.34%), Aldo-Michel Mungo pour La Droite (0.92%), et Pierre Renversez de P+ (0.31%).
Une alliance du PP avec un de ces partis lui aurait permis de passer les 5%. A l’inverse,
à Liège, seul un chef de file d’une des 4 dissidences du PP se
présentait : Philippe Chansay-Wilmotte (VLC).
Ce développement met en lumière toute l’importance
de la maîtrise des règles du jeu électoral et des choix opérés par les partis
en matière de constitution des listes. Si les électeurs font l’élection, la
stratégie des partis est déterminante pour la composition du parlement.