Gregory
Piet
Politologue,
Université de Liège
@grgpiet
Régis
Dandoy
Politologue,
FLACSO,
Université Libre de Bruxelles, Université catholique de Louvain
@rdandoy
Nous
pouvons relever en Belgique quatre familles politiques : la famille
libérale, la famille social-chrétienne, la famille socialiste et la famille
écologiste. La scission des partis unitaires traditionnels remonte à la fin des
années 1960. Le premier parti à connaître cette scission est le CVP-PSC (Christelijke
Volkspartij-Parti Social Chrétien) qui se scinde en 1968 (Delwit, 2011). Il ne
résiste en effet pas à l’« affaire de Louvain ». Le deuxième parti à
connaître la scission est le PLP-PVV (Parti de la Liberté et du Progrès-Partij
voor Vrijheid en Vooruitgang) en 1970 et, en 1972, le PVV devient indépendant
(Delwit, 2011). La division entre les deux ailes francophones et
néerlandophones de ce parti naît autour de la question bruxelloise et de la
limitation de Bruxelles aux dix-neuf communes. Le PSB-BSP (Parti Socialiste Belge-Belgische
Socialistische Partij) résistera, quant à lui, jusqu’en 1978. La démission du
premier ministre Leo Tindemans (CVP) le 11 octobre 1978 et l’échec du Pacte
d’Egmont auront toutefois raison du parti (Delwit, 2011). Ecolo et Groen !
(ex-Agalev) n’ont pas connu cette scission puisque leur existence politique est
plus jeune et surtout n’est pas commune. Ecolo est en effet né en mars 1980
tandis qu’Agalev trouve ses origines dans les années 1970 autour de
l’association AGL (Anders Gaan Leven, Vivre Autrement) dans la province
d’Anvers et nait officiellement en mars 1982.
Nous
retrouvons donc aujourd’hui quatre familles politiques composées de partis
frères (PS et sp.a, MR et Open VLD, cdH et CD&V, Ecolo et Groen !). Ces
familles politiques et ces partis frères ont-ils pour autant des attentions
politiques et des priorités politiques et électorales similaires au sein de
leurs programmes électoraux (voir Note méthodologique) depuis la fin des années
1980 ? Ou, au contraire, tendent-ils, en fonction de l’évolution
temporelle et électorale de ces trente dernières années à tantôt se rapprocher,
tantôt s’éloigner ?
La famille socialiste : sp.a et PS
De
manière générale, les partis frères de la famille socialiste sont peut-être les
partis qui ont connu le plus de fluctuations entre leurs priorités électorales
depuis la fin des années 1980 (voir graphique 1). Cela peut s’expliquer par les
reconfigurations internes et les tâtonnements du sp.a dans la stabilisation de
leur orientation philosophique depuis une vingtaine d’années. Là où le PS a
très peu modifié ses priorités politiques, restant globalement stables et
constantes d’une campagne électorale à l’autre, le sp.a a connu de beaucoup
plus importantes turbulences et modifications de ses priorités électorales.
Cela
en fait peut-être les partis frères les moins proches au niveau de leurs
priorités politiques depuis la fin des années 1980, à l’exception des élections
de 2010 (avec une corrélation moyenne de .78). En effet, lors des élections
fédérales de juin 2010, les deux partis socialistes avaient des priorités
politiques très similaires avec une corrélation significative très élevées
(.90). Autrement dit, 81% des priorités électorales étaient proches ou identiques
entre le PS et le sp.a. En 2007, par contre, la proximité entre les priorités
électorales de ces deux partis frères n’était que de 40%. Il est intéressant de
soulever que les partis frères de la famille socialiste n’ont jamais été aussi
proches en termes de priorités électorales qu’en 2010. Il convient de voir si
les élections législatives fédérales de 2014 confirment cette tendance (voir graphique
1).
La famille sociale-chrétienne :
CD&V et cdH
Il
s’agit certainement de la famille politique qui, en termes de priorités
politiques et électorales, restent la plus cohérente (voir graphique 1). Avec
une corrélation moyenne de .80, les deux partis frères ont connu leurs plus
fortes fluctuations dans leurs priorités électorales en 2003. En effet, lors du
changement de nom du PSC en cdH, le parti s’est présenté face à l’électeur avec
un programme électoral qui était en rupture avec ses priorités électorales
précédentes. Cette année électorale de transition a mis la famille
sociale-chrétienne en difficulté avec des priorités électorales très
différentes. A peine 30% des priorités politiques étaient proches ou similaires
entre ces deux partis frères. Depuis 2007, toutefois, ces deux partis ont
retrouvé une stabilité et une cohérence passée avec des corrélations oscillant
entre .85 et .89. Autrement dit, entre 75% et 80% des priorités électorales
étaient proches ou similaires entre ces deux partis lors des élections
législatives fédérales de 2007 et 2010.
La famille libérale : Open VLD et MR
La
famille libérale a également connu des fluctuations entre les deux partis frères
et des changements de trajectoires, et refontes internes et changements de nom (en
1992 pour le PVV devenant le VLD et en 2002 pour le PRL/FDF/MCC devenant le MR -
voir graphique 1). Si cette famille politique connaît des priorités électorales
relativement stables entre les deux partis frères pour la période 1987 et 1991,
en 1999 et depuis 2007, les élections qui ont suivi ces restructurations
internes ont, elles, mené à de très fortes différences entre les priorités politiques
et électorales entre les deux partis. Ainsi, en 1995, à peine 45% des priorités
électorales étaient proches ou similaires entre le VLD et le PRL. Il en va de
même en 2003 où à peine 32% des priorités électorales étaient proches ou
similaires entre le VLD et le MR. Depuis 2007, toutefois, les priorités
électorales de ces deux partis frères se sont stabilisées et restent
relativement proches et similaires (corrélation entre .87 en 2007 et .84 en
2010).
La famille écologiste : Groen !
et ECOLO
Enfin,
la famille écologiste est intéressante car elle est la seule famille politique
qui a une évolution positive de la cohérence des priorités électorales entre
les deux partis frères (voir graphique 1). Ayant tous deux des origines
historiques différentes, cette évolution est toutefois assez normale. Soulignons
que la famille politique écologiste est certainement la famille politique la plus
unie aujourd’hui. Les deux partis frères font partie d’un groupe politique
commun à la Chambre. Ils participent ensemble au pouvoir, font campagne
ensemble (en 2009 et en 2010, notamment), et ce, même si les deux partis
divergent, notamment, plus fortement sur les questions institutionnelles
(Pilet, Schrobiltgen, 2011). Cette convergence se retrouve également dans les
priorités électorales des deux partis puisque, si en 1987 la similarité ou la
proximité des priorités électorales d’Ecolo et d’Agalev était d’à peine 31%,
elle était de 90% en 2010.
Conclusion
De
manière générale, si la période allant de 1999 à 2007 a pu donner l’impression
de partis frères ayant de plus en plus des priorités électorales et politiques
différentes, nous constatons que depuis deux élections, la proximité entre les
partis politiques de même famille politique tend à se stabiliser et à converger
vers des priorités électorales et politiques identiques. Les questions
institutionnelles qui, potentiellement, pourraient nourrir les dissensions au
sein d’une même famille politique ne sont pas fortement présentes dans les
programmes électoraux. A l’inverse, les positions et priorités électorales des
partis frères concernant l’identification des problèmes publics (emploi,
économie, environnement, immigration, justice, affaires sociales, politique
européenne et étrangère, etc.) tendent à converger entre 2007 et 2010.
Il
conviendra de voir si cette tendance se confirme au sein des programmes
électoraux en vue des élections législatives fédérales de mai prochain.
Note méthodologique
Cette analyse
des programmes électoraux repose sur un logiciel d’analyse de textes, de
discours et d’arguments, nommé Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par
exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi
que le site dédié au logiciel Prospéro pour une plus longue présentation, http://prosperologie.org/). Pour faire
simple, la méthode consiste en la création de 21 répertoires thématiques
reprenant l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein
des programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et
Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook) et adapté
au cas belge par Stefaan Walgrave et son centre de recherches (M2P,
Universiteit Antwerpen). Ces 21 répertoires sont constitués de quelques 16.500 mots et
expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties
d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la
politique étrangère, etc. Cet encodage automatique permet ainsi de mesurer les
préférences et les priorités des partis politiques au sein de leur programme
électoral. Pour une analyse en profondeur d’un enjeu politique et une
explication détaillée de la manière de constituer les répertoires de mots et
d’expression, voir Piet (2013).
Pour aller plus
loin
Chateauraynayd
Francis, Prospéro. Une technologie littéraire pour les sciences humaines, Paris, CNRS
Editions, 2003
Dandoy Régis, De Decker Nicolas, ”Peut-on encore
parler de partis-frères en Belgique ?”, in Pilet Jean-Benoît, De Waele
Jean-Michel, Jaumain Serge (eds.), L’absence
de partis nationaux : menace ou opportunité ?, Editions de
l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2009, pp. 19-35.
Delwit
Pascal, « Partis et systèmes de partis en Belgique en perspective »,
in Delwit, Pascal, Pilet, Jean-Benoît, Van Haute, Emilie, Les partis
politiques en Belgique, coll. « Science politique », Editions de
l’Université de Bruxelles, 2011.
Piet Gregory,
« Attention politique et processus de priorisation du débat
climatique en Belgique depuis la fin des années 1980 », Conférence UCL –
Formation Carbone, 25 octobre 2013 (2013b).
Piet Gregory,
« La politique climatique en Belgique », Carnet de Recherche
Socio-informatique et argumentation, avril 2013b.
Pilet
Jean-Benoit, Schrobiltgen Marie-Hélène, « Ecolo », in Delwit, Pascal,
Pilet, Jean-Benoît, Van Haute, Emilie, Les partis politiques en Belgique, coll.
« Science politique », Editions de l’Université de Bruxelles, 2011.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire