Dr. Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL
Dr. Grégory Piet (@grgpiet)
Politologue, Directeur chez D&S - Discours & Stratégies
En France, le débat sur
la déchéance de nationalité fait rage et déchire en interne les principaux
partis politiques. En Belgique, c’est dans l’indifférence quasi-générale qu’une
loi de 2015 régule la déchéance de nationalité en cas d’actes terroristes. Mais
l’analyse historique des positions des partis politiques belges sur cette
thématique révèle que l’adoption de cette loi est plus qu’anodine. Elle est le
témoignage d’une véritable évolution programmatique de la part d’une majorité
des élites partisanes politiques en Belgique. Sur base d’une analyse des
programmes électoraux rédigés depuis les années 70, ce billet entend explorer
l’attention portée par les différents partis au cours du temps sur la déchéance
de nationalité.
Une thématique issue de l’extrême-droite
La question de la
nationalité – et de ses conditions d’octroi et de déchéance – n’est apparu que
récemment dans les idéologies des partis politiques belges. L’importance
croissante de l’immigration économique et les premières naturalisations ont
mené les partis à une réflexion sur la question de la nationalité (conditions
d’octroi, double nationalité, etc.) dès les années 80. Et ce n’est que quelques
années plus tard (en 1984, avec le Code de la Nationalité Belge) qu’apparaît la
thématique de l’extinction ou de la déchéance de cette nationalité.
Si l’on se penche sur les
enjeux politiques des différentes campagnes électorales, le Front National et
le Vlaams Blok (plus tard : Vlaams Belang) sont les premiers partis
politiques belges à faire référence à cette déchéance dans leur programmes
électoraux. Dès 1996, le FN propose dans sa plate-forme électorale d’
« appliquer la loi sur la déchéance de la nationalité ». Cette
revendication se retrouve également dans le programme de ce parti pour les
élections de 1999 et de 2003. La promesse électorale du FN reste brève et ne
repose sur aucune justification ou commentaire, mais a le mérite de mettre cet
enjeu à l’agenda de la campagne électorale du côté francophone.
En Flandre, le programme
électoral du Vlaams Blok de 1999 est le premier à énoncer la thématique de la
déchéance durant une campagne électorale, qui plus est, de manière relativement
précise. Le parti souhaite que « de nationaliteit van ‘nieuwe Belgen’ die
crimineel gedrag vertonen, moet sneller worden ingetrokken ». La
proposition du VB concerne les individus qui ont obtenu la nationalité belge
depuis moins de 5 ans et qui sont condamnés à une peine prison de plus de 3
mois. En matière de criminalité des jeunes, le VB souhaite la déchéance de
nationalité pour les individus condamnés à une sentence de 6 mois. Il s’agit,
dans cette perspective, d’une proposition de révision « hard » du Code
de la Nationalité Belge associant directement criminalité et la figure de
l’étranger (« nouveaux belges »).
La thématique de la
déchéance de nationalité reste pendant quelques années la « propriété
électorale » des partis d’extrême-droite et les propositions la concernant
demeurent mentionnées dans leurs programmes électoraux. Dans son programme de
2007, le FN réitère la proposition qui s’appliquerait aux délinquants et
criminels belges d’origine étrangère, sans préciser plus en avant les
conditions de son application. Dans son programme de 2009, le VB précise
néanmoins que cette déchéance s’appliquerait aux cas de grande criminalité ou
de récidive.
Election de 2014 : in tempore
non suspecto ?
Les choses changent en
2014. Jusqu’à cette date, les partis d’extrême-droite demeurent les seuls à
discuter de la déchéance de nationalité dans leur plate-forme programmatique et
aucun parti traditionnel belge ne mentionne cette déchéance dans son programme
électoral. (1) Mais en 2014, la thématique envahit la campagne électorale.
Outre le VB, pas moins de quatre partis représentés au parlement fédéral
traitent de cette thématique.
Dans son programme
électoral de 2014, la N-VA propose que, dans ces cas de troubles sévères à la
sécurité et à l’ordre public, les étrangers bénéficiant de la double
nationalité puissent être déchus de leur nationalité belge. L’Open Vld propose
que cette déchéance soit appliquée pour les individus condamnés pour –
entre-autres – terrorisme, grande criminalité, traite de d’êtres humains, crimes
d’honneur et mutations génitales.
Du côté francophone, le
MR est probablement le parti qui détaille le plus ses propositions concernant
la déchéance de nationalité. Le parti libéral propose que les individus qui
portent atteinte aux droits et libertés fondamentales garantis par l'Etat
soient déchus de leur nationalité belge, indépendamment de la date
d’acquisition de la nationalité belge. Cela concerne plus spécifiquement les
auteurs d’actes terroristes mais également les individus coupables d’incitation
à la discrimination, à la haine ou à la violence envers ces droits et libertés
fondamentales, ainsi que ceux « dont les comportements indignes et/ou
dangereux au regard de nos institutions démocratiques ».
Enfin, le PP propose que
la déchéance s’applique aux étrangers ou belges naturalisés depuis moins de dix
ans qui commettent des délits graves, abusent du système social ou menacent le
vivre ensemble par leurs revendications extrémistes. La déchéance de
nationalité nourrit à nouveau une distinction entre l’ingroup (les Belges et le vivre-ensemble) et l’outgroup (la peur de l’étranger et du belge naturalisé qui abusent
du système social).
De ces récents
repositionnements idéologiques découlent deux considérations. Tout d’abord, il
devient clair que la thématique de déchéance de nationalité n’est plus la
propriété électorale exclusive des partis d’extrême-droite, même si le VB
continue à en discuter dans son programme de 2014. Nombreux sont les partis
démocratiques qui incluent cette thématique dans leur discours, souvent au sein
du chapitre dédié à l’immigration et/ou à la justice. En d’autres mots, la
déchéance de nationalité est devenue un sujet de campagne plus
traditionnel ou plus « politique correct ».
Ensuite, de nombreux
observateurs ont lié ces changements de positions des partis traditionnels avec
les récents attentats en France et particulièrement ceux de Charlie Hebdo. Mais
c’est oublier un peu vite que la campagne électorale de 2014 (et a fortiori
la rédaction des programmes électoraux qui pour certains partis a débuté un ou
deux ans avant le scrutin) a précédé les événements parisiens. L’ensemble des
programmes électoraux ont été diffusés en mars ou avril 2014, c’est-à-dire près
de 10 mois avant les attaques de janvier 2015. Difficile donc de voir dans les
positions des partis belges une quelconque influence de ces événements…
De plus, les précédentes révisions du Code de la Nationalité Belge datent des années 2000 et de 2013. Il s’agit donc moins d’une prise en considération de l’évolution des menaces liées au terrorisme que de la figure et la peur de l’étranger qui évoluent : « Si le “Belge de naissance“ constitue le référent de l’établi, ou encore de l’héritier en tant que dépositaire des biens symboliques nationaux, l’étranger est celui qui dans la configuration représente la menace : le traître de la Nation, l’espion, l’immigré. La représentation de la figure de l’étranger détermine les propriétés attendues de celui-ci pour acquérir la nationalité belge (patriotisme, allégeance nationale, conformité culturelle). L’acquisition de la nationalité est inscrite dans un mythe et une rhétorique de la pureté originelle, supposant la recherche d’une conformité de la part de l’étranger qui doit se départir des aspérités de la différence pour trouver un état de « nature » originelle » (Rea, Bietlot, 2006).
De plus, les précédentes révisions du Code de la Nationalité Belge datent des années 2000 et de 2013. Il s’agit donc moins d’une prise en considération de l’évolution des menaces liées au terrorisme que de la figure et la peur de l’étranger qui évoluent : « Si le “Belge de naissance“ constitue le référent de l’établi, ou encore de l’héritier en tant que dépositaire des biens symboliques nationaux, l’étranger est celui qui dans la configuration représente la menace : le traître de la Nation, l’espion, l’immigré. La représentation de la figure de l’étranger détermine les propriétés attendues de celui-ci pour acquérir la nationalité belge (patriotisme, allégeance nationale, conformité culturelle). L’acquisition de la nationalité est inscrite dans un mythe et une rhétorique de la pureté originelle, supposant la recherche d’une conformité de la part de l’étranger qui doit se départir des aspérités de la différence pour trouver un état de « nature » originelle » (Rea, Bietlot, 2006).
La loi 2015 sur la déchéance de nationalité
La loi de 2015 concernant la lutte contre le
terrorisme et dont la déchéance de nationalité constitue un important élément
n’est pas une surprise. L’accord de gouvernement fédéral associant MR, N-VA,
CD&V et Open Vld et rendu public le 9 octobre 2014 stipule clairement à sa
page 156 que « le gouvernement adaptera les conditions permettant la
déchéance de la nationalité ». La traduction de cette élément de l’accord
en projet de loi est une caractéristique de la prise de décision au niveau
fédéral en Belgique (Joly et al., 2014).
Il n’en demeure pas moins
que les attaques à Paris de janvier 2015 ont accéléré le processus législatif.
Quelques jours plus tard, deux propositions de loi ont ainsi été déposées sur
la thématique de la déchéance de la nationalité par la N-VA (via ses
députés Hendrik Vuye et Koen Metsu) et par le cdH (via ses députés Vanessa Matz
et Georges Dallemagne). Après les programmes électoraux (en mars-avril 2014) et
l’accord de gouvernement (octobre 2014), la thématique de la déchéance de la
nationalité est désormais entrée au parlement fédéral.
Un projet de loi –
c’est-à-dire introduit par le gouvernement – visant à renforcer la lutte contre
le terrorisme est finalement voté le 16 juillet 2015 par le parlement fédéral
et publié au Moniteur le 5 août 2015. La déchéance de nationalité telle que
votée par le parlement fédéral s’applique pour les auteurs, coauteurs ou
complices qui sont condamnés pour terrorisme à une peine d’emprisonnement d’au
moins 5 ans sans sursis.
Il est intéressant de remarquer que ce projet
a été introduit moins d’un mois plus tôt, à savoir le 22 juin 2015, démontrant
une rapidité assez rare pour le parlement fédéral, étant donné qu’il a été
discuté, amendé et adopté en commission ‘Justice’ avant d’être discuté et
adopté en séance plénière. Tout cela en 24 jours…
Il est difficile de
remarquer une forte opposition de la part de l’un ou de l’autre parti politique
puisque ce projet de loi confirmant la déchéance de nationalité fait une
quasi-unanimité. Par exemple lors des travaux en commission, la proposition est
– moyennant quelques amendements et remarques – soutenue par les députés Eric
Massin (PS) et Vanessa Matz (cdH). Qui plus est, lors du vote en séance
plénière le 16 juillet 2015, le projet de loi récolte pas moins de 96 ‘oui’
et 48 ‘abstentions’ (et 6 absents). Pas un seul député n’a voté contre le
projet, signifiant qu’aucun parti de l’opposition (cdH, FDF, Ecolo-Groen, PP,
PS, PTB-go!, sp.a, VB) ne s’y est opposé. C’est étonnant de la part de certains
partis, comme par exemple Ecolo qui stipulait à peine un an auparavant dans son
programme électoral de 2014 que « la double nationalité ne peut en aucun
cas être considérée comme une semi-citoyenneté ».
Pour aller plus loin
Joly Jeroen,
Zicha Brandon, Dandoy Régis, "Does the government agreement’s grip on
policy fade over time? An analysis of policy drift in Belgium", Acta Politica, 2014, vol. 50, n° 3,
2015, pp. 297-319.
Réa Andrea, Bietlot Mathieu, Les changements du Code de la nationalité en Belgique. De la peur de l’étranger à son inclusion sous condition, M. Martiniello, A. Réa & F. Dassetto (Eds.), Immigration et intégration en Belgique francophone : état des savoirs (pp. 141–178). Louvain-la-Neuve: Bruylant-Academia.
Réa Andrea, Bietlot Mathieu, Les changements du Code de la nationalité en Belgique. De la peur de l’étranger à son inclusion sous condition, M. Martiniello, A. Réa & F. Dassetto (Eds.), Immigration et intégration en Belgique francophone : état des savoirs (pp. 141–178). Louvain-la-Neuve: Bruylant-Academia.
Notes
(1) A l’exception
du Parti Populaire qui, dans son programme de 2010, précise que les mariages
blancs seront sanctionnés par la perte de la nationalité, mais uniquement si
l’individu l'a lui-même acquise autrement que par la naissance.